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L'eau sous zéro

David Allard Martin

Donner accès à de l’eau potable aux citoyens sur un territoire où la température moyenne est sous zéro plus de la moitié de l’année n’est pas chose simple. Dans le sud du Canada où il n’y a pas de pergélisol, il suffit d’enfouir des tuyaux assez profondément sous terre, là où le froid de l’hiver et la chaleur de l’été ne se rendent pas. À quelques pieds de profondeur, la température du sol varie très peu et est assez élevée pour que l’eau qui circule ne gèle pas. Le sol étant généralement assez mou, il est simple de creuser avec de la machinerie et y installer des réseaux de plomberie qui serviront à l’alimentation en eau potable et au rejet des eaux usées (1).


Dans les régions au nord de la ligne de pergélisol, les contraintes ne sont cependant pas les mêmes. La majorité des communautés nordiques sont installées sur du pergélisol ou sur des affleurements rocheux rendant impossible l’aménagement de conduites souterraines (2). Le transport de fluides doit donc se réaliser en surface, et ce, même s’il fait -50 degrés Celsius. L’accès à l’eau peut donc être problématique, et surtout, très coûteux (3).

Le village nordique de Kuujjuaq a été conçu comme les autres villages du Nunavik, même si le pergélisol tend à disparaitre. La distribution et la collecte d’eau sont réalisées en porte à porte par des camions-citernes. Chaque bâtiment, qu’il soit résidentiel, commercial ou institutionnel, possède au moins un réservoir d’eau potable qu’un camion remplit quotidiennement (4).

Livraison d'eau

©David Allard Martin, Kuujjuaq, 2018

Livraison d'eau

©David Allard Martin, Kuujjuaq, 2018

Le trajet de l’eau à Kuujjuaq commence dans le lac Stewart, au nord de la ville. Une pompe tire l’eau du lac pour l’acheminer jusqu’à la ville par un tuyau souterrain d’environ cinq kilomètres. L’eau est ensuite traitée au chlore lorsqu’elle est pompée dans les camions la station située au coin des chemins Immirtavik et Dog Teamer’s. Une fois remplis, les camions (ceux avec une citerne métallique) parcourent le village pour remplir les réservoirs des bâtiments (5, 6).

Les bâtiments peuvent manquer d’eau pour deux raisons.

  1. Toute l’eau potable a été consommée ;

  2. Le réservoir d’eaux usées s’est rempli et bloque l’entrée d’eau potable par un système mécanique.

Dans les deux cas, les occupants du bâtiment doivent contacter le service technique de la municipalité pour leur signaler qu’ils n’ont plus d’eau ou que leur réservoir d’eaux usées est plein.

Afin d’accueillir ces liquides en plus du mazout qui sert de combustible pour chauffer la maison, les habitations sont munies d’une salle technique impressionnante. L’image du mur vert présente les éléments techniques les plus importants. Chaque maison est munie de :

  • un réservoir extérieur pour le mazout ;

  • une entrée (flèche bleue) qui permet de remplir un réservoir intérieur d’eau potable ;

  • un gyrophare bleu qui signale que le réservoir d’eau potable est vide ;

  • une sortie (flèche rouge) qui permet de vider le réservoir intérieur d’eaux usées (situé sous le plancher) ;

  • un gyrophare rouge qui signale que le réservoir d’eaux usées est plein.

Même si les configurations changent en fonction des modèles de maison, les éléments restent les mêmes (4).

Aucun système automatisé ne permet la prévision en temps réel de la consommation d’eau. Les bâtiments ne sont pas non plus munis d’un système informatique qui pourrait permettre l’échange d’information entre les bâtiments et les services techniques. Si un tel système de prévision et de télécommunication existait, il serait possible d’optimiser les routes de distribution en fonction de la quantité de liquide dans les réservoirs. Cela réduirait la consommation d’essence des camions et diminuerait le temps d’attente pour recevoir de l’eau ou faire vider les eaux usées.

 

Ce système d’aqueduc “mobile” détermine non seulement une partie de la forme architecturale, il détermine également la morphologie urbaine. En effet, pour que les camions puissent se mouvoir dans l’espace urbain efficacement, plusieurs contraintes doivent être respectées. Premièrement, les rues doivent être assez larges pour que les camions puissent y circuler efficacement. Les rues de Kuujjuaq ne sont pas des rues, ce sont plutôt des boulevards.

 

Deuxièmement, les bâtiments doivent être orientés pour que leur salle technique soit facilement accessible. Ils ne peuvent donc pas être collés les uns sur les autres, car le camion doit pouvoir reculer dans les cours. À cause de ces contraintes, Kuujjuaq ressemble plutôt à un parc industriel qu’à un village. L’utilisation des camions crée donc un problème d’échelle urbaine qui nuit au milieu de vie du village.

 

Troisièmement, il est impossible de construire les bâtiments sur des pentes trop abruptes puisque les camions ne peuvent les gravir. Les bâtiments doivent donc être bâtis sur des terrains relativement plats. Cette contrainte crée une double problématique. D’une part, le village s’étale sur un terrain de plus en plus grand pour éviter d’avoir à travailler avec la topographie du territoire. Les quartiers sont donc construits de plus en plus loin, obligeant les gens à se déplacer par véhicule pour tout ce qu’ils doivent faire en ville. D’autre part, la forme du village profite peu de cette topographie qui pourrait le rendre plus dynamique. Les bâtiments construits sur des pentes pourraient avoir une magnifique vue sur la rivière, la toundra ou le village. Le territoire paraitrait ainsi plus proche, ce qui est culturellement important chez la majorité des résidents. Il y a donc là des opportunités paysagères qui sont malheureusement contrecarrées par l’utilisation des camions.

Station d'eau potable de Kuujjuaq

©David Allard Martin, Kuujjuaq, 2018

Camion d'égout

©David Allard Martin, Kuujjuaq, 2018

Éléments techniques d'une habitation Kuujjuaq David Allard Martin 2018

Carte interactive des infrastructures municipales de Kuujjuaq par David Allard Martin, 2018

Références

  1. Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques. (2016, 18 mars). Réseaux municipaux de distribution d’eau potable. Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques. Consulté le 5 avril 2018.

  2. Ressources naturelles Canada. (2017, 15 décembre). Pergélisol. Ressources naturelles Canada. Consulté le 5 avril 2018.

  3. Department of Intergouvernemental and Aboriginal Affairs. (2014). Housing in Nunavik: information document. Québec : Société d’habitation du Québec.
  4. Société d’habitation du Québec. (2017). Construction d’habitations au Nunavik : guide des bonnes pratiques (1re éd.). Québec : Société d’habitation du Québec.

  5. Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques. (2016, 18 mars). Répertoire des stations municipales de production d’eau potable approvisionnées en eau de surface. Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques. Consulté le 5 avril 2018.

  6. Rencontre avec Ron Gordon, gestionnaire municipal du Village nordique de Kuujjuaq, Kuujjuaq, 23/03/2018.

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